Le terme de Scrum dans l’univers de la gestion de projet n’est pas apparu avec le framework tel que nous le connaissons aujourd’hui. Ce terme a été utilisé la première fois en janvier 1986 dans un article « The New New Product Development Game » publié par Hirotaka Takeuchi et Ikujiro Nonaka que vous pouvez facilement retrouver sur Internet.
Cet article fait référence à des produits et non pas à du développement logiciel. Une origine étonnante puisque la tendance actuelle est de ramener cet aspect “produit” encore plus au centre des préoccupations des entreprises.
Observations de gestions de projets innovantes
L’article ne propose pas de framework en soit mais des observations réalisées par ces deux professeurs de l’universités nationales de Tōkyō “Hitotsubashi”. Cependant, l’approche itérative y est clairement citée pour être en opposition avec l’aspect séquentiel presque présent au sein de tous les développements de produits.
Ces deux professeurs utilisent d’ailleurs l’image de la discipline olympique 4X100m pour expliquer les risques et les constats réalisés de ces approches séquentielles. La qualité du produit final dans ces conditions dépend de la réussite individuelle de chacun ; si un des membres de l’équipe est moins performant, l’impact sur le produit final en est profondément impacté. Ce concept de développement de produits en mode séquentiel a pourtant été fortement promulgué par la National Aeronautics and Space Administration (Nasa) et son phase program planning (PPP) dès les années 70.
Cette approche séquentielle apportait son lot de problèmes et de risques :
- quand le coureur attend le relai, il est inactif
- quand le coureur est moins performant, le résultat est grandement impacté
- en cas de manque de performance, impossibilité de s’adapter
Et c’est après cette explication que nous pouvons comprendre pourquoi le mot “scrum” a été utilisé par ces 2 professeurs japonais. Le rugby est un sport très reconnu mondialement pour :
- l’effort collaboratif
- sport très collectif
- l’avancement se fait par petites itérations
- les joueurs sont pluri-disciplinaires sur le terrain
- la réussite de l’équipe passe par un collectif fort sur un temps limité
Pourquoi prendre le mot scrum ?
Le mot “scrum” en anglais pour ceux qui ne connaissent pas sa traduction signifie “la mélée”. La mêlée est une phase de jeu où les avants des deux équipes se mettent en bloc pour relancer le jeu ; elle fait suite à la sanction d’une faute mineure ou d’un arrêt de jeu. L’image ci-dessous représente un mêlée en pleine action.
Nous pouvons voir cette image comme : “nous avons fait une faute en fonctionnement en mode séquentiel, nous repartons collectivement dans la bonne direction”.
Les 6 caractéristiques de cette nouvelle approche
De nombreuses entreprises ont tenté d’aller vers une approche plus itérative pour avoir des développements de produits plus rapides et plus flexibles. D’ailleurs certaines amènent aussi cette idée de “fail fast” qui poussent les employés à tester quitte à se tromper ; une erreur permet d’apprendre pour la suite.
Comme le disent les deux auteurs de l’article « The New New Product Development Game », certaines entreprises américaines et japonaises ont tenté de mettre en place ce type d’approche : Fuji-Xerox, Canon, Honda et NEC.
Grâce aux retour d’expériences des CEO de ces entreprises, voici les 6 caractéristiques qui définissent cette nouvelle approche de développement de produits :
- Instabilité intrinsèque
- Équipes de projet auto-organisées
- Les phases de développement se chevauchent
- L’apprentissage continu et multiple
- Contrôle subtil
- Le transfert de connaissance au sein de l’organisation
Bien que le terme “agile” se popularise en 1991 et encore plus avec la naissance du Manifeste Agile en 2001, les piliers de cette nouvelle culture émergente sont plus anciennes.
Instabilité intrinsèque
Les CEO mettent en avant le besoin d’avoir une mission claire pour les équipes afin d’amener du challenge avec des objectifs concrets ; si cela venait à bousculer les équipes, cette façon de faire n’avait pas pour but de mettre la pression aux équipes loin de là. Mais l’ensemble des équipes avancent beaucoup mieux quand elles savent exactement la direction qu’elles doivent prendre et les objectifs à atteindre.
Équipes de projet auto-organisées
Les équipes auto-organisées sont souvent des équipes plus motivées. Comme le rappellera plus tard le Manifeste Agile : “Les individus et leurs interactions plus que les processus et les outils”. N’imposons plus les fonctionnements aux équipes mais laissons les s’auto-organiser quitte à les accompagner dans cette réussite.
Les phases de développement se chevauchent
Des entreprises comme Xerox ou HP montrent de meilleurs résultats dans les années 1980 en travaillant avec des concepts d’itérations et en abandonnant le concept séquentiel présent dans l’ensemble des entreprises.
En revanche la notion d’itérations étaient moins avancées au sein de ces entreprises par rapport aux notions d’itérations que nous rencontrons aujourd’hui. Sur la durée de vie globale des projets, on y trouvait encore un séquencement à un plus haut niveau. Par exemple chez Xerox, il y avait 4 phases différentes : analyse, ingénierie, prototype, production.
Cependant, la phase d’ingénierie pouvait voir son périmètre changer avec les résultats du prototype, et la production pouvait se lancer avant d’avoir un prototype final.
Mais pour les équipes qui font du framing agile (framework de lancement de produits agiles) retrouvent également deux grandes phases bien que la première ne s’arrêtent jamais : cadrage, réalisation.
L’apprentissage continu et multiple
Venant tout droit des approches Lean, ces entreprises prônent le besoin d’avoir des équipes qui améliorent leur niveau en continu. Cela peut se traduire par :
- apprentissage par l’erreur (fail fast)
- formation continue
- disposition de communautés de pratiques
- en ayant du tout de découvrir d’autres choses
- analyser par l’observation
D’ailleurs, les auteurs citent 3M qui permet à ses employés dès les années 80 à prendre 15% de leur temps pour poursuivre leurs rêves. En effet, cette pratique est arrivée bien avant le “Google Friday” qui avait tant fait parler de lui.
Cette approche d’apprentissage continu reprise par les agilistes d’aujourd’hui est en fait une valeur forte des entreprises qui s’agilisaient (sans en avoir le label) dans les années 80.
L’apprentissage multiple signifie amener les membres de l’équipe à avoir des compétences plus larges sans pour autant être des experts de tout.
Contrôle subtil
Le contrôle subtil qui est présenté par l’ensemble des CEO se caractérisent en 7 points :
1/ Sélectionner les bonnes personnes pour la constitution des équipes. Cela peut se traduire par l’ajout ou le retrait des membres selon les besoins. Il est vrai que dans l’approche agile actuelle, le conseil est plutôt d’avoir des équipes stables ce qui diffère de cette préconisation.
2/ Mise en place d’open-space. En effet, dans les années 80, cette pratique était très peu répandue.
3/ Aller à la rencontre des utilisateurs. Toujours d’actualité voire encore plus qu’il y a quelques années, le contrôle subtil passe par l’analyse du client en le rencontrant et en l’observant en action.
4/ Etablir une évaluation et des récompenses sur les performances de l’entreprises.
5/ Avoir un rythme régulier surtout en début de projet. Il est essentiel d’être rigoureux et d’avoir un rythme régulier pour pouvoir bien avancer sur le produit à constituer et à maximiser sa productivité.
6/ Apprentissage par l’erreur et encouragement à essayer. C’est en osant essayer, en vivant des erreurs que les équipes finissent par vivre un véritable succès.
Les ingénieurs de chez Honda aimaient dire : “un taux de réussite de 1% est soutenu par des erreurs commises 99% du temps”. Une phrase pleine de sens et soutenu par le fail fast que nous avons vu précédemment.
Les équipes doivent mettre en place des indicateurs qu’elles suivront voire qui seront suivi par le management ; cela n’interdit pas de garder l’autonomie des équipes. L’objectif n’est pas de faire des indicateurs pastèques mais d’avoir les moyens pour le management de pouvoir prendre les bonnes décisions en cas de nécessité.
L’image du rugby y est encore très représenté : l’équipe fait son match en toute autonomie mais les indicateurs seront analysé par le coach et ses disciples pour améliorer les prochains matchs (itérations).
Le transfert de connaissance au sein de l’organisation
Le titre parle de lui-même, il est fortement recommandé d’avoir un bon transfert de connaissance au sein de la structure.
Le transfert de connaissance doit aller au delà de l’équipe mais doit se propager au sein de l’ensemble de l’entreprise. Ces 2 professeurs expliquent qu’ils ont vu dans ces entreprises innovantes dans leur gestion de projet, des phases de transfert rapides avec l’affectation des personnes clés sur de nouveaux projets ultérieurs
Un manager de Honda disait d’ailleurs :
“Si l’usine est opérationnelle et que les réclamations de la période initiale sont résolues, nous démantelons l’équipe du projet, ne laissant que quelques personnes à la suite. Comme nous ne disposons que d’un nombre limité de personnes exceptionnellement capables, nous les lâchons immédiatement pour un autre projet clé.”
Manager chez Honda
L’implication du management
Ces deux professeurs insistent d’ailleurs sur un point encore très présent aujourd’hui au sein de nos structures : l’implication des managers est indispensable pour ces gestions de projets innovantes.
En effet, le problème de l’implication de certains managers est encore aujourd’hui un sujet important sur lequel de nombreux agilistes travaillent.
Les manager doivent inciter au changement, être moteur de ce changement et prendre des décisions de façon incrémentale quitte à revoir leurs anciennes décisions.
Est-ce vraiment l’origine du scrum ?
Le Scrum s’est clairement inspiré de ces gestions de projets innovantes pour proposer un framework agile de grande qualité. Il est possible que Ken Schwaber l’auteur du framework ait pris la métaphore du « scrum » en référence à ces deux professeurs en 1995 quand il a présenté les premiers fondements de ce framework agile.
Ce qui est intéressant de voir, c’est que tous ces concepts agiles sont bien plus vieux que l’apparition du terme « agile » en 1991 et du manifeste agile en 2001. Certes l’agilité a évolué et évolue encore aujourd’hui mais elle s’est inspiré du travail d’un grand nombre d’entreprises et d’acteurs de la gestion de projet.
Si cet article parle de gestion de projets du début des années 80, l’agilité s’est aussi inspiré de certaines pratiques Lean des 50 voire de pratiques plus anciennes encore.
3 Rétroliens / Pings